Étoiles mourantes - Ayerdhal et Jean-Claude Dunyach

28/8/2024
Science-fiction

Résumé

Les AnimauxVilles, dont l'origine remonte peut être à la création de l’univers, ont connu maintes espèces à travers l’Histoire, mais la plus fascinante de toutes à leurs yeux reste l’humanité. Malheureusement, celle-ci s’est entre-déchirée, tant et si bien que les AnimauxVilles ont préféré les séparer en 4 rameaux : la Grande Dispersion. Dans chacun des rameaux, l’humanité a évolué de façon inédite, rendant leurs différences et modes de vie si palpables qu’ils sont maintenant étrangers les uns des autres, tantôt ennemis, tantôt complices… mais jamais unis. A l’occasion de la mort d’une étoile binaire, théâtre des Retrouvailles des rameaux organisées par les AnimauxVilles, la statu quo pourrait changer pour le mieux comme pour le pire.

Univers

Ce roman de plus de 500 pages n’est pas une nouveauté mais une réédition d’un roman sorti initialement en 1999 et rédigé par deux auteurs anarchistes. Comme je sais la connotation qu’on prête aujourd’hui à ce terme je préfère dès maintenant remettre une définition rapide : “L’anarchie, ou société libertaire, est une société fondée sur la démocratie directe sans système de pouvoir vertical tel qu'un gouvernement non soumis au peuple (les anarchistes prônent le mandat impératif et le référendum d'initiative populaire), une économie d'exploitation (refus de l'existence du salariat, des monopoles, des cartels, du capitalisme d'État) ou une religion d'État. C'est la situation d’un milieu social où il n’existe pas de rapports de pouvoir verticaux et qui est de ce fait dépourvu de classes sociales. Il existe toujours une organisation, un ordre et une loi, mais ces derniers émanent directement du peuple et non d'une entité de domination distincte qui serait dotée d'un pouvoir de coercition hors de la société elle-même.” (Wikipedia). 

L’univers du roman est le fruit de deux esprits brillants et hautement politisés. Ils n’ont pas volé les deux prix qu’ils ont remportés. L'univers est original, complexe et crédible. La première moitié du roman est focalisée sur la mise en place de l’univers et la présentation de chaque Rameau par l’intermédiaire d’un ou deux personnages principaux et de quelques personnages secondaires. C’est la partie la plus “technique” du roman et celle pendant laquelle il faut s'accrocher j’ai lu que pas mal d’autres personnes ont eu du mal avec la première partie. Elle peut être assez déroutante car la technologie et les modes de vie décrits sont inhabituels. Personnellement, j’ai adhéré à l’univers immédiatement. Les AnimauxVilles sont aussi des êtres uniques dont le fonctionnement est difficile à saisir de prime abord. Le seconde moitié est focalisée sur les Retrouvailles où les rebondissements s’enchaînent.

Les Mécanistes sont le premier Rameau présenté.

La société mécaniste gouvernée par les hommes et profondément misogyne est aussi le modèle de société le plus violent parmi les rameaux. J’y vois une critique claire du patriarcat. Cela peut étonner venant d’auteurs hommes mais moins quand on sait leur affinité avec l’anarchisme. Les hommes mécanistes portent tous une Armure de carbex, un alliage qui les rend léthaux. Chaque armure est intelligente. Elle est fabriquée pour son premier porteur et prend son nom. Elle crée ainsi son éon. Cet éon façonne ensuite tous ses futurs porteurs oblitérant leur personnalité. Les Mécanistes sont tous des soldats et les femmes sont réduites au rôle de mère ou de prostituée (appelée geisha dans l’univers). Le monde des Mécanistes est donc un vieux monde stagnant qui ne connaît que la guerre. Sa plus grande création est aussi son plus grand frein, car comment leur société peut-elle se renouveler quand les futures générations sont systématiquement oblitérées par les anciennes ? Ce vase clos entraîne un mode de société immuable. Ils parviennent à évoluer d’un point de vue technologique mais doivent leurs dernières découvertes en partie grâce aux autres Rameaux… Ironique quand on sait qu’ils se pensent supérieurs aux autres en tous points.

La Fédération Originelle correspond au rameau de l’humanité qui est resté sur Terre. Cette société tourne autour de la mort et de l’immortalité. Du moins une sorte d’immortalité. Chaque enfant Originel développe toute sa vie sa forme astrale. L’esprit séparé de la chair évolue jusqu’à la mort où le Passeur de Mort (Gadjo notre personnage principal pour ce rameau) “accouche” de sa personnæ. Il s’agit d’une copie astrale de l’être décédé. La justesse de la réplique incombe entièrement au savoir-faire du Passeur.  Gadjo a la lourde tâche d’accoucher de la personnæ du Charon, le leader de la fédération, un véritable despote qui n’entend pas mourir aussi facilement… Tout comme les mécanistes qui se voient comme des armes et n’ont que faire de la chair qui est remplaçable, les originels placent leur esprit au-dessus de tout, la corporalité reléguée. Cet univers paraît morne en comparaison des autres. C’est aussi celui qui est le moins développé et le plus centré sur ses personnages principaux.

Les Artefacteurs (appelés les Organiques par les autres rameaux) ont épousé le modèle de la société anarchique décrite plus haut. C’est celle que j’ai le plus aimé suivre et c’est aussi la partie la plus politique même si tout est politique dans ce livre. Les humains de ce rameau sont “infectés” dès la naissance par un symbiote qui leur permet de modifier leur corps à volonté (créer des branchies pour respirer sous l’eau, modifier sa taille, sa force, son apparence, etc). Le symbiote a néanmoins un inconvénient de taille : il impose à son hôte la création ou l’ectomorphose d’objets en tous genres issus de leur propre corps. Cet objet doit ensuite nécessairement être offert. Au cours de la très, très longue vie des artefacteurs (rendue possible par son symbiote), il arrive que certains, désirant enfin mourir, s’abandonnent à leur symbiote qui transforme alors le corps de l’Artefacteur dans une création finale mortelle. Mais les Artefacteurs n’ont hélas pas toujours le choix de leur mort. S’ils n’offrent pas leurs créations, l’équilibre du symbiote est compromis. Cela donne lieu à l’ectomorphose d’un sympathe, une petite boule de poils toute mignonne d’aspect et dont le rôle est d’apaiser/endormir toute émotion de son créateur. Plus les années passent, plus l’artefacteur perd tout goût à la vie et s'abandonne malgré lui au symbiote qui le tue. Offrir le sympathe à quelqu’un qui en a besoin et qui n’est pas forcément un artefacteur est donc primordiale à leur survie. Mais avec le système en vase clos des rameaux, peu d’artefacteurs ont la possibilité d’offrir chacune de leur création. L'entre-soi les tue. Leur système anarchique n’est pas non plus sans défaut car renfermé sur lui-même. Si chaque création a vocation à aider son prochain, un créateur qui garde pour lui dans son intérêt est voué à la mort. L’ancienne génération d’artefacteur connait ce problème mais pense impossible un avenir commun avec les autres rameaux qui résoudrait de fait ce problème. Le jeune génération, en revanche, voit le poids des décisions prises par les générations précédentes leur échoir. Ce poids les écrase et ne promet qu’un avenir sombre. Les Retrouvailles sont pour les jeunes l’opportunité de les sauver. Mais comment construire un avenir commun lorsque les autres rameaux ont une véritable aversion pour leur symbiote ?

Le quatrième et dernier rameau se compose de la société des Connectés. Eux aussi ont renoncé en partie à l'importance de la corporalité. Chaque connecté se voit greffer un flagelle dès l’enfance afin de connecter son esprit au système qui régit toute leur société, où l’information de chaque esprit est constamment disponible tel un gigantesque réseau social. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ils ne forment pas un Esprit ruche et maintiennent leur individualité. Mais ils sont incapables de se passer du réseau et meurent de folie s’ils en sont coupés. Une façon aussi de montrer que leur entre-soi peut leur être fatal. Il s’agit sans conteste du rameau le plus avancé d’un point de vue technologique, mais c’est aussi le plus fragile d’un point de vue strictement physique. Leur technologie n’est pas tournée vers une quelconque utilité militaire à l’inverse des Mécanistes.

Pour des raisons que je ne révélerai pas, les Connectés redoutent la fin brutale de leur civilisation et misent tout dans les Retrouvailles. J’ai trouvé ce rameau très intéressant mais une chose m’a vraiment froissée : la normalisation de la relation incestueuse entre frère et sœur (les personnages principaux de ce rameau). Je ne sais pas ce qui a pris aux auteurs d’écrire un truc pareil. 

Ainsi chaque rameau s'est enterré dans un fonctionnement propre poussé à l'extrême. Chaque modèle (économie, mode de vie, régime) arrive au bout de ce qu'il peut offrir et mène peu à peu à la déchéance. J’y vois une critique de notre système capitaliste et néo-libéral actuel. Le conflit intergénérationnel anime presque tous les rameaux. La jeunesse voit les défauts du système en place et réclame le changement tandis que les plus âgés luttent pour conserver le pouvoir.

Les personnages

Le nombre de personnages restreint permet de les développer en profondeur. Je tiens à préciser que les AnimauxVilles sont des personnages à part entière auxquels vous vous attacherez. A l’exception des mécanistes et des connectés, chacun des personnages principaux ont une relation privilégiée avec un ou plusieurs AnimauxVilles qui sont très humains dans leur traitement, même si leur nature profonde les sépare irrémédiablement d’une quelconque humanité. Les personnages s'inscrivent tous d’un côté de cette lutte intergénérationnelle à l’exception des AnimauxVille. Tecamac, le jeune mécaniste a l’incroyable chance d’enfiler une armure vierge qu’il façonnera lui-même. Erythrée, jeune artefactrice a espoir de convaincre les autres rameaux de la nécessité d’une réconciliation. Chaque personnage est important et déborde de personnalité. Les suivre est un pur plaisir, à l’exception de la connectée avec son frère…j’ai vraiment eu du mal surtout que les auteurs appuient sans cesse l’aspect incestueux de leur relation, mais passons… 

Tout le monde a un plan concernant les retrouvailles. Certains plans sont plus sombres que d'autres, mais surtout il y a UN plan qui demeure inconnu jusqu’à la fin du roman, et c’est le plus inattendu de tous. Chacun a un rôle à jouer et ce n’est pas forcément celui qu’ils avaient anticipé.

Conclusion

J’ai adoré de bout en bout à l’exception de la relation incestueuse évoquée plus haut que je trouve inacceptable surtout quand on connaît les ravages qu’une telle pratique fait dans la vie réelle… Cependant, la plume est formidable, l’univers est riche et original. C’est le genre de roman qu’on n’oublie pas et qui mériterait une seconde lecture. À la lumière de toutes les révélations du final grandiose de ce roman, je pense que j’aurai plaisir à le relire dans quelque temps.

May

J'ai découvert la littérature de l'imaginaire enfant en lisant des mangas (Full Metal Alchemist, Claymore, Fruit Basket, Naruto, etc.) qui me permettaient de m’évader. Puis une camarade de classe m'a un jour prêté la trilogie du Dernier souffle de Fiona MacIntoch. Ça a été la révélation ! Depuis je suis avide de lectures de l'imaginaire et plus particulièrement de fantasy qui constitue l'essentiel de ma PAL.

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